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La photo qui a mis un frein à ma carrière de photographe

Par un bon matin de septembre, j’étais loin de me douter que l’action que j’ai faite le plus dans ma vie — celle de prendre un cliché à l’aide de mon appareil photo — allait mettre un frein à ma carrière de photographe que je bâtissais depuis plusieurs années… Voici le récit de LA photo qui a failli mettre un terme à mon rêve de vie.

Les prémices d’une photo en Gaspésie qui a mal tourné

Le matin du 3 septembre 2021, j’étais sur la route depuis environ une semaine, en Gaspésie plus précisément. J’arpentais ce magnifique secteur du Québec dans le cadre d’un mandat pour Bonjour Québec; un mandat au cours duquel j’ai pu explorer plus de 13 régions et une centaine de villes et villages dans toute la province. À ce moment dans le temps, on sortait à peine de la fâcheuse situation qui a mis le monde sur pause pendant plus de 2 ans et je recommençais à avoir plusieurs mandats avec différents clients. Tout allait à merveille pour moi — je me sentais revivre après un hiatus de voyage d’environ 2 ans.

Après avoir visité plusieurs secteurs de la région, j’étais finalement arrivé à Percé, ce qui signifiait que j’étais sur le point de finir mon road trip en Gaspésie. À ce point du périple, ça faisait environ 2 jours qu’il y avait des averses plutôt intenses dans le secteur. Mon activité qui était prévue cette journée-là, visiter le Parc national de l’Île-Bonaventure-et-du-Rocher-Percé, a été annulée à cause de la mauvaise température.


7 h 23 — Quelques minutes avant la prise de la fameuse photo…

En recevant un appel de la Sépaq m’indiquant que mon activité de la journée est annulée, j’ouvre les rideaux de ma chambre de môtel. C’est à ce moment que je constate que le vent s’est mêlé à la pluie et que la tempête fait rage. Au loin, des vagues, hautes comme ma personne, se déchaînaient.


8 h 00 — Je me rends au bâtiment principal du môtel pour déjeuner

Comme la salle à manger du môtel était séparée des chambres à coucher, je devais passer par l’extérieur. Étant donné que je n’avais jamais capté la Gaspésie, et Percé, dans ces conditions météorologiques, je décide de traîner mon appareil-photo en allant déjeuner — on ne sait jamais quand une opportunité photographique peut survenir.


8 h 16 — Clic! La photo est prise

Mon petit côté aventurier est interpellé par l’idée de capturer la tempête pour mes archives. Les deux pieds s’enfonçant dans cette pelouse bien imbibée par les averses, j’ai pris cette photo. Quelques secondes plus tard, réalisant que même mes meilleures chaussures en GORE-TEX n’avaient pas tenu le coup, je décide de quitter les lieux pour aller me réchauffer autour d’un bon déjeuner au môtel… sauf que le destin en a décidé autrement.


8 h 17 — Crac!

Crac! C’est exactement le bruit que j’entends lorsque je tente de remonter la petite côte de pelouse me séparant de la salle à manger à laquelle j’allais déjeuner. N’ayant jamais vécu quelque chose de semblable, j’ai de la difficulté à saisir ce qui m’arrive. La douleur s’empare de moi très rapidement. C’est au niveau de ma cheville gauche, ça ne va pas du tout. Avec la pluie diluvienne qui me fouette au passage, mon corps cède et je tombe au sol, sur ce confortable tapis de gazon humide. Avec du recul, je noterais cette douleur à environ 9 sur 10.


8 h 18 — Dring!

Mon mode survie embarque rapidement. Je ne peux pas tolérer cette douleur, encore moins sous la pluie battante. Pendant que je suis au sol, j’aperçois un module de jeux pour enfants à quelques mètres de moi. Je décide de ramper jusque là, question de m’abriter temporairement. Une fois rendu, je décide d’appeler la réception du môtel où j’étais. Comble du malheur, après avoir réussi à composer le numéro sur mon écran d’iPhone complètement mouillé, je réalise que je suis mis en communication avec une centrale de réservation de la chaîne hôtellière, plutôt qu’à la réception directement. En rétrospective, vous verrez avec la suite, il aurait été préférable que je compose le numéro des services d’urgence, soit le 9-1-1.

Je repasse dans ma tête un sketch de la série américaine Broad City, où Ilana répète sans cesse « Human being!« , dans le but de parler à un humain lorsqu’elle est prise dans un système téléphonique automatisé.


8 h 22 — À l’aide!

Comme je suis pris dans la spirale infernale d’un système téléphonique automatisé, je continue mes recherches pour tenter de trouver le bon numéro de téléphone pour être capable de rejoindre quelqu’un. Je compose un nouveau numéro de téléphone. Dring! Une téléphoniste me répond. Je lui explique brièvement ma situation, que c’est extrêmement urgent et que j’ai besoin d’aide de la part de la réception du môtel où je me trouve, ou du moins, de leur parler directement. Elle m’assure qu’elle fait le message aux personnes concernées.


8 h 26 — Ouch, ayoye!

Petit rappel, à ce moment, je suis toujours cloué au sol, incapable de me relever par moi-même sur mes deux jambes. Ne possédant aucune upper body strength, je tente tout de même de me relever en m’appuyant sur le module de jeux pour enfants, qui est devenu très glissant avec les intempéries. Les minutes qui passent semblent se transformer en de nombreuses heures. Toujours personne à l’horizon pour m’aider. Je décide donc de trouver un nouveau numéro de téléphone et je réussis finalement à parler directement à la réception de l’hôtel. Ils n’avaient jamais été mis au courant qu’un de leurs clients avait besoin d’aide…!


8 h 32 — La plus longue marche de ma vie

Une dizaine de minutes plus tard, un réceptionniste finit par sortir et m’aide à me relever, puis m’invite à le suivre à l’intérieur de la réception, en marchant un peu sur mon pied. Chaque pas est un véritable calvaire et les dix mètres qui me séparent de ma destination finale sont interminables. En finissant ce qui me paraissait être la plus longue marche de l’univers, je m’affaisse sur un fauteuil dans le lobby du môtel. On m’offre de la glace et de l’eau, puis on me propose d’appeler une ambulance, ce que j’accepte, évidemment.


10 h 16 — L’arrivée des ambulanciers

Si je dois retenir une chose de cet évènement, ce serait d’appeler les services d’urgence le plus rapidement. Non seulement pour être pris en charge le plus tôt possible, mais aussi pour éviter tout mouvement qui pourrait compromettre davantage la situation. Il s’est écoulé un peu plus d’une heure entre l’appel initial et l’arrivée de ceux-ci, puisqu’en région éloignée, il n’y a pas d’ambulanciers dans toutes les villes. Dans une telle situation, ces professionnels de la santé sont les personnes les mieux placées pour intervenir, pas un réceptionniste de môtel. Ce dernier a vraiment fait du mieux qu’il a pu avec les connaissances qu’il avait, mais je me suis senti vraiment en sécurité à l’arrivée des ambulanciers et lorsqu’ils m’ont pris en charge. Ils ont sécurisé ma jambe à l’aide d’un espèce de plâtre pneumatique, puis ils m’ont transporté jusqu’à l’intérieur de l’ambulance, afin de se rendre au centre hospitalier.


11 h 12 — Arrivée et admission à l’Hôpital de Chandler

Le transport en ambulance a duré environ 1h de Percé à Chandler. Le personnel à l’urgence m’accueille rapidement et m’installe dans une salle d’attente. Étant donné que je suis dans un petit hôpital de région, on m’explique que je vais devoir attendre plusieurs heures pour qu’un médecin arrive. Entouré de 4 murs d’un gris bien ternes, dans une salle éclairée au néon bien verdâtre qui scintille, j’attend patiemment en regardant ma cheville gonfler à vue d’oeil. Un médecin finit par m’ausculter et me fait ensuite passer des radiographies.


14 h 01 — Le meilleur repas… de ma journée

En tant que véritable foodie, je me devais de documenter l’offre culinaire de l’Hôpital de Chandler. En toute honnêteté, encore à ce jour, je ne sais pas exactement ce que j’ai mangé comme repas principal, toutefois je donnerais un 3 sur 10 à la soupe aux légumes.


15 h 03 — Le verdict

C’est officiel, c’est pas juste une entorse, j’ai une fracture à la malléole externe de la cheville gauche. Le médecin m’explique la suite des choses et me fait quelques prescriptions. On m’installe un support temporaire à la cheville, puis on me renvoie chez moi en me disant de m’organiser comme je peux pour me trouver un chirurgien à Montréal, et ce, le plus rapidement possible. C’est un peu à ce moment que le véritable cauchemar commence… À 15 h 39, j’ai mon congé d’hôpital et je dois passer à la pharmacie pour mes béquilles et mes médicaments, puis retourner au môtel en taxi pour récupérer ma voiture et gérer mon retour à la maison.

Si jamais vous vous demandiez combien ça coûte une course en taxi de Chandler à Percé, c’est près de 200$!


19 h 38 — Arrivée à New Richmond pour la nuit

Heureusement, mes clients chez Tourisme Gaspésie et Bonjour Québec, pour qui j’étais en train de travailler, ont eu l’aimabilité de m’assister dans mon retour vers Montréal. Ils m’ont loué une chambre d’hôtel à New Richmond, ce qui me rapprochait un peu plus de mon but final et ça me donnait l’occasion de me reposer un peu après cette journée remplie de péripéties.

Le lendemain matin, j’ai pris la route vers la maison et ça n’a pas été de tout repos. Sous l’effet de l’adrénaline, j’ai conduis presque sans arrêt pour arriver le plus rapidement possible dans mon safe space.


L’après fracture et les effets sur ma carrière de photographe

Si je peux vous donner un seul conseil: évitez à tout prix de vous casser un membre lorsque vous n’êtes pas près de la maison. Même si au Québec, nous avons accès à un système hospitalier gratuit, ça ne veut pas nécessairement dire que tout est rose. Le fait que ma fracture ait eu lieu dans une autre région que celle où je réside, a grandement compliqué les choses. Je devais me trouver par moi-même un chirurgien qui allait pouvoir me passer en urgence, à Montréal. Je ne sais pas si vous avez eu besoin d’un professionnel de la santé dernièrement, mais c’est probablement plus difficile à trouver que de la marde de Pape. Bref, j’ai fini par trouver un chirurgien orthopédique voulant me traiter, grâce à l’aide précieuse d’une amie qui m’a suggéré d’envoyer un fax pour obtenir mon rendez-vous… oui, vous avez bien lu. Quelques semaines plus tard, je passais sur la table d’opération et j’entâmais un processus de rémission qui allait s’étendre sur plusieurs mois.

En attente de ma chirurgie à l’hôpital

Évidemment, il était impératif que je mette ma carrière sur pause pendant quelques temps. J’ai dû contacter tous mes clients et annuler tous mes prochains mandats. Dans l’immédiat, je me devais aussi de refuser toute nouvelle demande. Tout ce que je bâtissais depuis plusieurs années, s’écroulait peu à peu devant mes yeux. Autant qu’avec toutes les douleurs corporelles, c’était une période difficile physiquement, je crois que c’était encore plus challengeant du côté psychologique. C’était définitivement une période très sombre de ma vie personnelle et professionnelle.

Grâce à ma perséverance, au temps, aux séances de physiothérapie et au support de mon conjoint et de mon entourage, j’ai pu reprendre le travail quelques mois plus tard. D’ailleurs, c’est avec le National Geographic que j’ai eu la chance de faire ma première séance photo à mon retour. J’en parle de façon plus détaillée sur cette publication LinkedIn et vous pouvez voir le projet sur mon portfolio.


Rien n’arrive pour rien

Au moment d’écrire ces lignes, cette journée et cette période de ma vie n’est qu’un mauvais souvenir. Je ne suis pas croyant, mais dans ma propre spiritualité, je crois au destin. Ce matin-là, c’était une invitation à changer le cours de ma destinée, que l’univers m’envoyait. Pour moi, ça s’est traduit par apprendre à slow down, apprécier les petites choses de la vie, moins m’en faire avec les banalités du quotidien, m’écouter davantage et me recentrer sur qui je suis et ce que j’aime réellement faire. Bref, rien n’arrive pour rien.

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